Un texte d’ Olivier LemieuxBien assis dans son bureau du 13e étage du Complexe Jules-Dallaire à Québec, le président du Groupe Financier Stratège refuse de pavoiser.
« Ce dont je suis le plus fier, c’est de mes quatre enfants. Sans eux, je ne serais pas passé au travers », précise-t-il.
N’empêche, son histoire n’est pas banale à raconter. Dès l’enfance, il a su que sa vision n’était pas aussi bonne que celle de ses camarades. « Quand j’étais dans les scouts et qu’on se promenait dans les bois le soir, j’avais de la misère à voir les étoiles », se souvient-il.
C’est finalement à 16 ans qu’il recevra un diagnostic définitif de rétinite pigmentaire, une rare maladie dégénérative de l’œil qui conduit à la cécité.
L’ophtalmologiste m’a dit que je serais aveugle à 25 ans et que je ne conduirais jamais une auto. Disons que j’ai pogné mon deux minutes.
La progression de la maladie lui laissera cependant le temps de faire ses études collégiales et universitaires. À 23 ans, il lance sa propre entreprise de services financiers.
Une maladie cachée
Gabriel Couture passe le reste de sa vingtaine et la moitié de sa trentaine à grossir sa compagnie et diversifier ses activités. À mesure que sa vision se détériore, il rivalise d’imagination pour cacher son état à ses clients, souvent avec l’aide de ses employés.
Je faisais tout pour ne pas que ça paraisse. Tout était blindé, organisé et structuré pour que ça ne paraisse pas.
Les rendez-vous incontournables avec les plus gros clients se déroulent dans son bureau ou dans une salle de conférence, jamais dans un lieu inconnu.
Son personnel est au courant de sa condition. Les responsabilités de quelques employés clés sont augmentées. Malgré l’avancée de la maladie, il refuse d’utiliser une canne pour l’aider dans ses déplacements jusqu’à ce qu’un incident le force à accepter l’inévitable.
« Une journée, je me promenais dans le Vieux-Québec et j’ai failli me faire frapper par une auto. Là, j’ai été obligé de dire «je vais y rester si je continue.» »
Le lendemain, il contacte l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec. « Je leur ai dit »OK, je vais aller la chercher la canne blanche.» »
La soirée qui a tout changé
Même si sa vision continue de diminuer, Gabriel Couture hésite encore à parler ouvertement de son handicap avec sa clientèle. Dans un domaine aussi compétitif que la gestion financière, il craint d’effrayer ceux qu’il a mis des années à convaincre d’investir.
« Je me disais : »qu’est-ce qu’ils vont penser?» Qu’est-ce qu’ils vont dire?» »
Ultimement, il jouera le tout pour le tout en invitant ses plus gros clients à une soirée-bénéfice pour la Fondation des maladies de l’œil au Capitole.
Sur la scène, il prend la parole pour remercier les donateurs d’investir dans une cause qui le touche particulièrement.
C’est là que je suis sorti du placard. Un poids énorme s’est enlevé de mes épaules.
La réaction qui a suivi a dépassé toutes ses attentes. « Je n’ai pas perdu un seul client, jure-t-il. Le respect que ces gens-là m’ont démontré, ça m’a donné un élan. »
Continuer de foncer
Au début de la quarantaine, Gabriel Couture ne s’inquiète plus pour l’avenir. Avec le recul, il se demande pourquoi il s’est mis tant de pression sur les épaules afin de cacher sa condition.
« Au fond, ce qui fait la différence, c’est ce que les gens sentent », croit-il.
Il a appris à maîtriser différents logiciels et outils technologiques pour correspondre avec ses clients et planifier leurs investissements. Au centre de son bureau trône un appareil qui sert à numériser et lire les documents.
L’homme actif qu’il était doit maintenant être accompagné au quotidien pour fonctionner, mais ses récents succès en affaires lui donnent le goût de continuer à se dépasser.
« Ma façon d’être fier de moi a toujours été de réaliser des choses, dit-il. Les vraies forces qu’on a sont des forces intérieures. C’est là-dessus que je veux travailler. »