Banque du Canada (BdC) du 4 septembre 2024 sur l’ajustement des taux d’intérêt,
Le Monde de Montréal a interviewé Monsieur Mitch Strohminger, économiste et directeur de l’analytique de marché chez CoStar Group, pour discuter des perspectives économiques du Québec. Dans cette entrevue réalisée en amont, il partage ses analyses sur les répercussions potentielles de cette décision sur le marché immobilier, les secteurs de la construction et du commerce de détail, ainsi que les défis auxquels la province pour- rait être confrontée. Découvrez les réflexions d’un professionnel averti sur l’économie québécoise et les tendances à venir dans un contexte post-4 septembre.
Avec toutes les nouvelles éco- nomiques qui circulent, il est essentiel de comprendre les dy- namiques économiques et finan- cières actuelles. Avant d’entrer dans le vif du sujet, Monsieur Mitch Strohminger, pour- riez-vous nous parler un peu de votre parcours professionnel?
Réponse de Mitch Strohminger
Oui, bien sûr. Avant de travailler chez CoStar, j’ai été économiste et gestionnaire des risques d’investissement de 2013 à 2020 chez Ivanhoé Cambridge. Je m’occupais alors de divers dossiers d’investissement et j’ai étudié plusieurs marchés, pays et tendances technologiques, ainsi que leurs impacts sur les actifs immobiliers. Avant de rejoindre Ivanhoé, j’ai œuvré dans le domaine du développement économique, notamment sur un projet qui visait à stimuler la croissance économique du secteur touristique en Amérique centrale.
Le Groupe CoStar a une réputation mondiale pour la qualité de ses données et analyses sur le marché immobilier. Pour- riez-vous nous parler de la mission principale du Groupe CoS-tar et comment cette mission guide les services que vous offrez aux professionnels du secteur immobilier, en particulier ici au Québec?
Réponse de Mitch Strohminger
La mission principale du Groupe CoStar consiste à numériser l’immobilier mondial pour permettre au public de découvrir des propriétés, obtenir des renseignements et tisser des liens dans le but d’améliorer leur entreprise et leur vie. Nous sommes axés sur le rendement et accordons la priorité à la satisfaction des besoins de nos clients.
Nous fournissons une très vaste gamme de données à une clientèle diverse, y compris des courtiers, des locataires, des propriétaires, des investisseurs et des entrepreneurs généraux. Ceux-ci peuvent trouver des renseignements dé- taillés sur des propriétés, dont de l’information sur les bâtiments, par exemple, la date et les matériaux de construction, le nombre d’étages, de locataires et d’espaces vacants, le coût estimé des loyers, des précisions sur les baux et la vente d’actifs, les coordonnées des personnes-ressources, comme le propriétaire et le gestionnaire du bâtiment, et bien plus encore.
Nos algorithmes utilisent l’en- semble de ces données entre autres pour nous aider à créer des études de marché et à estimer le taux d’inoccupation, de capitalisation et des loyers. Nous proposons égale- ment des prévisions de marché fon- dées sur plusieurs scénarios.
Au Québec, nous nous penchons sur le marché du Grand Montréal. Nous couvrons toutes les catégo- ries d’actifs ayant trait aux proprié- tés. En ce qui concerne les études de marché, nous avons commencé par mener des études portant sur les secteurs industriel et administratif et comptons éventuellement lancer des études sur les secteurs com- mercial et locatif. Nous recueillons présentement des données sur la ville de Québec et nous couvrons également la région de Gatineau.
Quel est le taux d’intérêt? Et com- ment les changements potentiels des taux d’intérêt de la Banque du Canada, attendus pour le 4 septembre 2024, pourraient-ils affecter l’économie du Québec, notamment les secteurs clés tels que l’immobilier, la construction et le commerce de détail?
Réponse de Mitch Strohminger
À l’heure actuelle, le taux directeur de la Banque du Canada est fixé à 4,5 %. Le marché estime qu’il y aura une baisse de 25 points de base à compter du 4 septembre 2024, et si c’est le cas, le taux directeur di- minuera à 4,25 %.
Une baisse de 25 points de base ré- duirait les taux d’emprunt sur plu- sieurs types de dettes, surtout les hypothèques à taux variables, mais aussi sur d’autres prêts.
En principe, une baisse supplémentaire devrait stimuler l’activité économique. Le secteur de la construction, par exemple, bénéficierait de conditions de financement légèrement plus favorables. Les mé- nages économiseraient davantage sur leurs hypothèques et sur leurs autres dettes et disposeraient donc d’un peu plus d’argent à dépenser chez les détaillants.
La crise du logement au Québec est exacerbée par des facteurs tels que la pénurie de logements abordables et l’augmentation des loyers. Comment pensez-vous que ces changements pourraient influencer la crise du logement au Québec?
Réponse À court terme, une baisse du taux directeur de 25 points de base n’au- ra pas une très grande incidence. Il se peut que les acheteurs potentiels décident d’attendre encore un certain temps avant d’acheter dans l’espoir que les taux diminuent da- vantage dans un avenir rapproché.
Cette baisse de taux ne réglera pas la crise du logement à laquelle est confronté le Québec, mais elle per- mettra possiblement aux construc- teurs de bénéficier d’une petite marge de manœuvre pour amorcer (ou redémarrer) des projets rési- dentiels.
Le président de la Réserve fédé- rale (Fed), Jérôme Powell, a laissé entendre que la Fed pourrait abaisser les taux d’intérêt le mois prochain. Quels seraient, selon vous, les impacts potentiels de cette réduction sur l’économie québécoise?
Réponse de Mitch Strohminger
En règle générale, il s’agit d’une bonne chose pourvu qu’il n’y ait pas trop de divergence entre la BdC et la réserve fédérale concernant la direction des taux. Si la Fed réduit ses taux d’intérêt, nos deux poli- tiques monétaires seront davantage alignées. Cela veut surtout dire que la valeur de notre monnaie sera plus stable par rapport à celle des États-Unis. Donc les entreprises et les consommateurs pourraient s’attendre à ce que les prix des biens provenant des États-Unis de- meurent stables également.
Si la Banque du Canada continuait à réduire les taux d’intérêt sans que la Réserve fédérale fasse de même, il y aurait un écart grandissant entre les taux de nos deux pays. Cela pourrait faire chuter la valeur de notre huard et provoquer une hausse des prix des produits amé- ricains. Le Québec serait alors per- dant étant donné que l’on importe une grande partie de nos denrées et autres biens des États-Unis.
Quel est votre point de vue sur l’état actuel de l’économie qué- bécoise comparé au reste du Ca- nada? Et, quelles sont les princi- pales forces et faiblesses que vous identifiez dans la conjoncture actuelle pour l’économie québé- coise?
Réponse
Le Québec se trouve dans une si- tuation où son économie ralentit et où le taux de chômage augmente. Bien que le taux de chômage soit moins élevé ici qu’ailleurs au Ca- nada, il continue de grimper. De plus, on constate qu’un plus grand nombre de petites entreprises font faillite aujourd’hui qu’avant le res- serrement des taux.
En général, je trouve que l’éco- nomie québécoise est plus faible qu’elle ne parait. Une proportion importante des emplois créés au cours des dernières années appar- tiennent soit aux secteurs sensibles aux taux d’intérêt, comme l’immo- bilier, la construction et la tech- nologie, soit aux secteurs publics, comme le gouvernement, l’éduca- tion et la santé.
La hausse des taux a déjà eu des répercussions sur le marché du tra- vail. Le taux de chômage s’élevait à 5,7 % en date du mois de juillet 2024 comparativement au taux de 4,1 % du début de l’année 2023. Les secteurs de l’immobilier, de la construction et de la technologie ont effectivement été touchés par cet affaiblissement du marché du travail.
Si une récession survenait, le gou- vernement du Québec récolterait moins de recettes. Et puisque notre province emploie davantage de fonctionnaires, le gouvernement aurait alors besoin de plus de re- venus. Donc, nous risquerions de subir une hausse des taux d’impôts alors que le Québec affiche déjà le plus haut taux d’impôts en Amé- rique du Nord.
L’industrie du Québec perdrait son élan et son avantage concurrentiel par rapport aux autres provinces et états. Si c’était le cas, la qualité de vie des Québécois serait directe- ment touchée.
Dans le contexte actuel de la dynamique des taux d’intérêt, notamment avec les ajustements at- tendus de la Banque du Canada, quels sont, selon vous, les opportunités et les défis majeurs aux- quels le Québec devra faire face dans les mois à venir ?
Réponse
Il existe un risque de récession. Le fait que la BdC réduise les taux in- dique qu’elle reconnaît que l’économie ralentit. Il est possible qu’il soit déjà trop tard pour stopper une récession.
Les différents paliers de gouverne- ment devraient s’efforcer de trou- ver des moyens de limiter leurs dépenses afin d’éviter des hausses d’impôts. Pourrait-on, par exemple, tirer parti de l’IA pour accroître l’efficacité de certains de nos ser- vices gouvernementaux et donc réduire leurs coûts d’exploitation? Je n’ai pas la réponse, mais voilà le type de questions qui s’impose à l’heure à actuelle.
Dans un contexte où l’économie semble s’essouffler, nos infrastruc- tures posent également un défi. Le Québec doit faire face aux effets des conditions météorologiques ex- trêmes et imprévisibles, comme les pluies abondantes que nous avons connues en août qui ont provoqué la rupture de conduites d’eau au centre-ville.
Avant de conclure, y a-t-il des tendances ou des développements futurs dans le marché immobilier que vous trouvez particulière- ment intéressants et que vous aimeriez partager avec les lecteurs du journal communautaire Le Monde de Montréal?
Réponse
Il y a plusieurs tendances qui se dessinent dans le secteur de l’immobilier. L’IA, les sciences de la vie et la recherche biotechnologique sont des domaines en pleine expansion qui nécessiteront de plus en plus d’aménagements. Par souci d’écoresponsabilité, un plus grand nombre d’entreprises auront recours à des serres pour créer de véritables petites fermes urbaines à l’intention de leur personnel et de leur communauté. Et alors que les véhicules électriques continueront de gagner en popularité, davantage de stations d’essence devront être converties et les propriétés devront elles-mêmes être dotées de bornes de recharge.
Propos recueillis par Makelot Boyer
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