Par Melissa Jean-Baptiste
Passer le flambeau culturel
La langue est l’un des moyens universels pour interagir avec autrui, se faire comprendre, pour tisser et même conserver des liens. Elle fait partie de notre culture, de notre héritage, de notre identité et de notre richesse. Que se passe-t-il lorsque la relation intergénérationnelle est fragilisée par la non-maîtrise de la langue à l’écrit et l’oral par les enfants de la troisième génération ? Sans poser de geste significatif pour la préserver, elle se perdra au fil de temps. Née à Montréal, mais ayant passé une partie de son enfance en Haïti soit de ses 9 ans jusqu’à ses 16 ans, Sly Toussaint a voulu partager toutes ses connaissances à son retour à Montréal. Grandissant en popularité, constatant le besoin dans la transmission d’idiome haïtien et recevant plusieurs remarques positives quant au plaisir dégageant des cours offerts, celle qui les enseignaient au tout début gratuitement, a voulu explorer, faire une différence et s’est finalement lancée dans le monde de l’entrepreneuriat en fondant le centre Toussaint le 5 août 2019.
« Pour arriver à comprendre les figures de styles d’une langue, tous ses registres et les images qui y sont utilisées , il faut la parler et la lire. Souvent, les personnes de ma génération vont le comprendre, mais n’arriveront pas à s’exprimer. Sinon, cela se fait avec beaucoup de gêne, mais ils ne sauront pas en mesure de le lire ou de l’écrire. Sans la pratique, ces compétences linguistiques seront oubliées. Voilà tout l’importance d’apprendre et de comprendre le créole haïtien», nous a expliqué la fondatrice.
Selon elle, nous pourrons ainsi solidifier les relations intergénérationnelles et assurer la survie du dialecte. Passant des cours de langues pour adultes de 50 ans et plus le vendredi soir, à ceux pour enfants le samedi matin/ début d’après-midi, aux cours de danse ou aux cours d’histoire sur le pays, l’offre de service du centre est diversifiée. Les cours du vendredi sont donnés de 18h à 20h. Les cours du samedi est appelé l’école haïtienne du samedi. Le groupe d’enfants de 7 ans et plus le suit de midi à 13h30 et celui des enfants de 5 ans et plus le poursuit de 14h à 15h.
Un de ses étudiants a commencé ses cours de créole depuis janvier 2023 et les continueront en septembre 2023 à la rentrée scolaire ce qui est une première. Selon la fondatrice, ses parents accordent la même importance à l’éducation traditionnelle qu’à l’apprentissage culturel.
(La fondatrice du centre Toussaint Sly Toussaint. Photo : Mélissa Jean-Baptiste, Journal communautaire le Monde)
La magie de l’enseignement
Sly Toussaint adore enseigner et connecter avec ses élèves. C’est ce qu’elle aime le plus dans son métier. Leurs réflexions la fascinent.
« Nous pouvons enseigner le même cours à maintes reprises, mais comme le groupe et les individus le suivant varient, l’expérience est différent et le dynamisme est toujours présent. L’apprentissage n’arrête pas ce qui nous amène à nous questionner constamment sur nos propres connaissances. Avec les enfants, je suis dans la curiosité, la découverte et le jeu Alors qu’avec les adultes, je navigue plutôt dans le développement personnel et la prise de conscience. Il y a certaines questions qui me sont posées auxquelles je n’avais jamais pensé. Je prends encore plus conscience du fait qu’une situation peut être abordée sur plusieurs angles. C’est incroyable! Tout enseignant passionné vous dirait la même chose », nous a-t-elle mentionné.
Elle se dit très fière d’avoir créé une organisation pionnière, unique et faisant vibrer notre fibre identitaire. Elle ne pensait pas faire autant une différence par son enseignement. « Pour moi, je ne faisais que partager mon amour pour la langue de mes ancêtres, mais beaucoup de personnes me rapportait comment cela leur était bénéfique sur le plan culturel et identitaire. C’est alors que j’ai réalisé l’ampleur de mon travail », a mentionné Sly Toussaint. S’intéresser à sa culture ou à celle de l’autre, c’est vivre sa vie pleinement et la plénitude est l’essence même de son mantra.
(Sly Toussaint à l’action pendant l’école haïtienne du samedi. Photo : Mélissa Jean-Baptiste, Journal communautaire le Monde)
D’après ses dires, trouver un local, un lieu physique se voulant une maison pour la clientèle était le plus difficile au début. Après avoir loué trois locaux dont l’un ayant fait faillite, après avoir été frappé par la pandémie qui a donné place à des cours en ligne ce qui n’est pas l’idéal pour l’apprentissage et sans compter que le contact physique favorise la maîtrise d’une langue, c’est finalement en janvier 2022 qu’elle a acquis celui se trouvant à la jonction de Montréal-Nord, de Saint-Michel et d’Ahuntsic. Un choix éclairé, car Saint-Michel est l’un des quartiers le plus habité par la communauté haïtienne. À l’heure actuelle, le grand défi est le financement, car il n’est pas suffisant pour le personnel requis.
Je suis parce que nous sommes
Quoique la fondation du centre soit centrée avec la culture haïtienne, elle n’a jamais délaissé sa vision panafricaine, car le rôle qu’y joue l’Afrique est indéniable. Passant du lexique, à la danse, Haïti a un grand héritage africain. « Beaucoup de mots et de sons en créole haïtien proviennent de l’Afrique. Nous avons une danse africaine se nommant le Congo, originaire de la République Démocratique du Congo et une danse africaine appelée l’ibo nous provenant du Nigéria. Dans le futur, nous aimerions collaborer avec d’autres entrepreneur.e.s africain.e.s. », a souligné la pionnière.
La fondation du centre nous rappelle ô combien l’humain est au centre de tout. Petit comme grand, mérite une adaptation à sa réalité pour que nous puissions parler un langage universel et que chacun puisse se sentir à sa place. Comme Nelson Mandela l’avait si bien dit : « Parler à quelqu’un dans une langue qu’il comprend, c’est toucher son cerveau, mais lui parler dans sa langue maternelle, c’est le toucher au cœur.»
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